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Montigny
19 novembre 2008

Teste intégral, en respectant l’orthographe de

Teste intégral, en respectant l’orthographe de l’ouvrage, du chapitre XIX du tome 1 de « Le provincial à Paris » paru en 1825 :

LE PASSAGE DES PANORAMAS.

   De tous les passages qu’ont ouverts des spéculateurs adroits, il n’en est pas de plus fréquenté maintenant que le Passage des Panoramas. Une heureuse exposition et la mode ont commencé la vogue dont il jouit ; le temps a fait le reste. Aujourd’hui, ce joli passage est placé sous la protection du dieu qui préside au commerce.
   Amusons-nous à le visiter : entrons dans ce brillant bazar par le boulevard Montmartre, et commençons par le côté gauche. A l’angle du boulevard est le café Véron, dont tous les ornements (particularité qu’il est bon d’observer) sont avoués par le goût. Les consommateurs sortent toujours satisfaits de ce beau café. Avant et après l’heure de la bourse, un grand nombre de courtiers-marrons, de  haussiers et de baissiers garnissent les tables du café Véron ; ces messieurs déjeunent solidement ; il est rare que l’espérance n’ajoute pas un mets ou deux à leur carte.
   Immédiatement après, est le magasin de bonbons de la duchesse de Courlande, où sont étalées des friandises de toute espèce ; à toutes les époques de l’année, et particulièrement pendant les grands froids, les plus beaux fruits charment la vue : on remarque avec surprise, sous la même cloche de verre, des groseilles et des pêches, des cerises et des raisins ; véritable Prothée, le sucre y affecte toutes les formes et s’embellit des couleurs les plus vives. On entre là pour faire emplette de quelques douceurs ; les marchandes sont attrayantes, et l’on se surprend à leur en dire ; chez tous les confiseurs, les dames de comptoir font assez volontiers cet échange lucratif. Plus loin l’acier brille de toutes parts ; l’or en est jaloux : les agréables riens, qui ne sont que de ce précieux métal, paraissent pâles et ternes ; que de futilités, de charmantes bagatelles ! Les dames s’arrêtent là de préférence.
   Passons devant le bottier et le gantier, arrêtons-nous chez Susse, le papetier avoué par la mode. Le moyen de faire un choix, s’il n’est arrêté d’avance ! Voulez-vous des écrans mécaniques, de jolis souvenirs, des coffres, des écritoires, des pupitres à secrets, des boites pour les cartes de visite ? Choisissez, Mesdames, et si, par impossible, vos maris vous accompagnent, tâchez qu’ils ne jettent pas les yeux sue ces grands porte-feuilles rouges, verts et noirs ; il n’en faut pas davantage pour leur faire tourner la tête. Réclamez cet honneur, Mesdames, il vous appartient.
   Donnons un coup-d’œil aux chapeaux de paille de madame Lapostole et aux jolies personnes qui les vendent. La boutique de M. Bazin, orfèvre, n’ayant rien de remarquable, allons vite à la Mère de Famille, chez madame Mimeur, puis chez le gantier, puis au magasin du Mameluck, puis enfin à la Chaumière allemande, où l’on vend à-la-fois des modes et de la parfumerie. Nous touchons au passage obscur qui conduit au Théâtre des Variétés ; laissons la modeste boutique de l’imperceptible marchand de lorgnettes, placée au coin, et contemplons le beau magasin de thés, tenu par Marquis, où le chocolat subit tant de métamorphoses ; puis respirons l’odeur des truffes, doux parfum ministériel qui s’exhale de l’intéressante boutique de ce marchand de comestibles, le Chevet des Panoramas.
   Après Marquis viennent un tailleur, une lingère, puis un marchand de papiers peints. Admirons ses belles tentures et ses devants de cheminées représentant des sujets d’histoire ou des faits d’armes de nos guerriers. (1)
   Donnons un regard au dépôt des cafetières Morize, de ce meuble ingénieux où l’on peut préparer le délicieux moka sans qu’il perde de son divin arome.
   Laissons l’Estaminet aux fumeurs, mais faisons une station chez Frère, éditeur et marchand de musique ; voulez-vous des amans, des amours, des beaux jours, des troubadours ? ils sont ici en abondance.
   Nous touchons à l’endroit du passage où est placé le petit théâtre de M. Comte. Quels sont ces marmots qui jouent d’une manière si bruyante ? Paix ! ce sont les artistes : le père noble est celui qui mord dans un gâteau ; cette petite fille est la grande coquette, et le financier lui présente une pomme.
   Voici le marchand de tabac, puis le changeur. Voyez comme les passants jettent à l’improviste des regards de convoitise sur ces petites sébiles pleines de pièces d’or. Passons outre, afin de ne pas subir le supplice de Tantale. La véritable richesse est à côté, chez le libraire Nepveu.
   Le passage se termine de ce côté par un bottier, un coiffeur et un tailleur. On peut sortir brillant de chez ces messieurs, pourvu toutefois qu’on ne soit pas sans argent.
   Nous avons visité avec détail toute la partie gauche du plus pittoresque des passages de la capitale ; revenons maintenant sur nos pas pour examiner le côté droit, qui a bien aussi son mérite.
   Accordons un coup-d’œil à la première boutique, celle de M. Fabry ; orfèvre ; ce magasin qui, naguère encore, était en retard d’un demi-siècle, est aujourd’hui un des plus élégans du passage. Disons-le avec douleur, le côté droit est ici (comme en certain autre lieu) singulièrement en arrière ; l’autre côté l’emporte de beaucoup pour l’empressement qu’il a mis à propager le nouveau mode d’éclairage. Aussi brille-t-il le soir de l’éclat le plus vif, tandis qu’un grand nombre de boutiques du côté rival ne sont éclairées que par l’huile de nos pères. Mais que vois-je ? Fermons vite les yeux, une boutique à louer dans ce brillant passage !..  Ah ! voici deux magasins de gants et de bretelles ; tous deux sont à la hauteur de l’époque ; il n’y a que du bien à en dire.  Une réunion d’artistes (2) était indispensable en ce lieu ; j’aperçois leur établissement : des brosses, du cirage anglais, et la feuille du jour. Passons ; ce magasin de bonbons n’a rien de remarquable, mais la dame du comptoir est polie, et c’est quelque chose. Arrivons vite à la marchande d’oranges, et pour cela ne laissons tomber qu’un coup-d’œil sur le bottier, le tabletier et le chapelier qui la précèdent. Pourquoi cet empressement, dira peut-être le lecteur ? C’est que la marchande d’oranges est une statue assez jolie et toute mignonne, qui mériterait peut-être une partie des complimens qui lui sont quotidiennement adressés, si l’on parvenait à l’animer et à donner quelque peu d’expression à ses traits. Ce n’est pas pour faire présent de la vie à ce charmant automate que Prométhée a dérobé le feu du ciel.
   Après le magasin d’oranges et de citrons, sur lequel le gaz hydrogène verse, à la nuit tombante, des torrens de lumière, on voit un marchand de jouets d’enfans ; puis un troisième gantier dont l’enseigne est au Ci-devant Jeune Homme ; puis encore un marchand de jouets, le nombre des enfans de tout âge est si grand à Paris !
   Comment donc se fait-il que le quinquet des anciens jours n’ait pas cédé le pas en cet endroit aux becs resplendissans du gaz !... Respirons l’odeur du cacao dans le laboratoire de Marquis, fabricant de chocolat ; puis admirons les ombrelles fort jolies, mais un peu trop chères de son voisin. Ensuite le bijoutier fixera un instant notre attention ; mais nous passerons rapidement devant la lingère à l’huile pour arriver promptement au magasin d’albâtre ; et nous ferons une station chez le pâtissier Félix.
   En coudoyant un peu les Anglais, en nous faisant jour à travers les Anglaises qui semblent avoir fait là élection de domicile, nous pénétrons dans le petit salon de ce pâtissier célèbre : goûtons ses gâteaux et son vin ; comptons ensuite, et n’oublions pas de remarquer que, pour l’argent que nous lui laissons, nous aurions pu faire un repas complet chez beaucoup de restaurateurs. Cependant maître Félix n’est éclairé qu’avec de l’huile : est-ce que son four ne marcherait pas avec le siècle ?
   Attendons l’époque du jour de l’An pour visiter le confiseur dont l’enseigne assez bizarre figure les Armes de Werther. C’est, je crois, le magasin de bonbons le mieux assorti du passage. Le magasin de plaqué d’argent a bien quelque droit à une mention.
   J’aperçois la Lampe merveilleuse ; on n’y vend que des gants, mais celles qui les vendent sont bien jolies !.. Pour détourner les pensées qu’elles font naître, arrêtons-nous devant le magnifique magasin de bronzes et dorures de M. Fleschelle. Honneur aux arts, c’est bien ici leur salle dans ce passage.
   Quel vaste établissement que celui de ce tailleur qui est à côté ! Voilà des étoffes séduisantes, des draps qui ne manquent pas d’éclat : tout cela est-il bien solide et d’une bonne durée ?... Qu’importe, puisque la mode ne laisse pas aux acheteurs le temps de les user.
   Voici un modeste bonnetier ; puis nous touchons à ces Panoramas  qui donnent leur nom au passage, et nous arrivons, après avoir jeté un regard scrutateur sur le marchand ou la marchande de jouets d’enfans, au grand magasin de nouveautés de l’Eclipse, où se termine notre promenade.
   J’avais (imprudemment peut-être) l’intention de prononcer sur les plus belles boutiques comme sur les marchandes les plus jolies. Je tiendrai parole après avoir consulté les connaisseurs, et pris surtout l’avis des dames intéressées.

1 - Depuis la paix et la découverte de la lithographie, on ne rêve à Paris que victoires et lauriers. On se console avec des fictions de la perte de la réalité.

2 – Tout le monde, à une certaine époque, prenait à Paris le titre d’artiste ; aussi trouva-t-on de fort bon goût la plaisanterie de ce décroteur qui, en s’établissant avec plusieurs autres sous les Galeries du Palais-Royal, mit sur son enseigne : Aux Artistes réunis.

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